Indonésie

Chapitre 4 : Gangsters en culottes courtes

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Nous sommes enfin arrivés à Lombok après de très nombreuses heures de traversée en ferry. Nous sommes exténués et plongeons sur la première proposition de taxi qui nous tombe sous les bras. Ce dernier veut nous emmener, pour un prix raisonnable, vers Mataram, la capitale administrative. Plus de trois heures de route pour faire à peine 30 kilomètres! L’indonésie et son trafic routier… C’est bien l’un des plus horripilants auquel j’ai pu assister. Autant le Vietnam était chaotique, mais une certaine “logique” y prédominait. Sur Lombok, c’est la véritable anarchie et les routes, étroites, sont saturées de tous les côtés.

Nous avions prévu plusieurs choses sur Lombok et ses environs. Explorer, « snorkeller » pour moi, plonger pour Thibaut et Nico, s’accorder un peu de plaisir et prioritairement renouveler nos visas pour un nouveau mois. Une formalité pénible, principalement mise en oeuvre pour éviter qu’un trop grand nombre de touristes ne le fasse. Des délais de traitement en fonction du faciès, des petits bureaux qui refusent de participer à la procédure, plusieurs allers-retours… Bref, nous fûmes chanceux, cela ne nous aura pris qu’une seule semaine pour obtenir cette fameuse extension.

Quand on rentre dans une administration, on est priés de ne pas s’habiller comme des ploucs

Pour fêter cela, nous nous sommes dirigés vers Kuta. A ne pas confondre avec Kuta (Bali) qui lui est le paradis du mauvais goût, des fringues contrefaits, de la musique bruyante, des restos pas toujours exceptionnels et des cocktails alcoolisés coupés à l’éther.

Un environnement plutôt reposant

Cependant, bien qu’il ne s’agisse pas du même endroit, la clientèle attirée semble être la même : le backpacker en quête de soirées, de « pures vagues », de drogues, d’alcool et fêtes sur la plage. Heureusement, pas de clubs surdimensionnés avec des mégawatts de tous les côtés, mais des petits bars avec de la musique. Par chance, Kuta Lombok possède beaucoup plus de charme et est également plus calme. Le premier bar que nous avons trouvé cumule tous les clichés possibles : une ambiance un peu hippie, des couleurs chatoyantes, des noms hypersexualisés de cocktail, et l’indémodable “Wonderwall” d’Oasis en version reggae. Comment résister à tant de bon goût ?! Nous décidons tout de même d’aller prendre un verre sur place. Nous n’avons pas vraiment l’embarras du choix, c’est l’un des seuls endroits ouverts le soir dans la ville.

Un bar caché dans un entrepôt

Il est d’ailleurs étonnant de pouvoir commander des bières aussi facilement en période de Ramadan, mais nous sommes dans une zone très touristique.  La seule différence, comme sur les îles Gili (Trawangan en particulier, celle qui est réputée pour la fête), c’est que les bars ferment plus tôt que d’habitude. Généralement, peu avant minuit, la musique diminue et finit par s’arrêter complètement. Les gens sont alors contraints de bouger vers d’autres « after » ou trouver des locaux pratiquant la “vente sous le manteau” pour autres drogues et facéties de fin de soirée. « Allons prendre des champignons à la plage » est un classique que vous entendrez à chaque coin de rue.

Alors que nous étions dans ce bar, un tintamarre retentit dehors. De vieilles bagnoles avec de larges remorques à l’arrière se sont arrêtées au même moment. A leur bord, une dizaine d’enfants s’empressent de descendre les bras chargés de sacs en plastique. Au total, presque une vingtaine sont lâchés dans la ville, avec un seul et unique but vendre des bracelets. De cafés en cafés, de restaurants en restaurants, de plages en plages, ils tentent par tous les moyens de vendre leurs bijoux, que l’on peut apercevoir dans les magasins du coin et autres attrapes-touristes. La seule différence, c’est qu’ici c’est surtout le côté organisé et malsain qui émane d’une telle initiative. Les enfants entament la conversation et savent exactement quoi dire et faire pour se faire acheter leurs bracelets. Cependant, à la fin de la journée, il est peu probable que cet argent leur revienne.

-Bonjour ! Vous m’achetez un bracelet ? Il est super beau ! Vous pouvez même en acheter pour votre famille et vos amis, ils vont adorer. Vous en prenez combien ? Quatre ? Cinq ?, récite mécaniquement ce garçon de sept/huit ans en arrivant à notre table. Il dépose deux bracelets devant moi et quatre supplémentaires devant mes deux potes.
-On n’est pas intéressés, merci quand même, répondis-je
-Je les laisse là quelques secondes, comme ça vous avez le temps de réfléchir

Le gosse fait mine d’aller ailleurs, mais on dirait surtout qu’il quitte le café afin de demander quelques conseils. Lorsqu’il revient, il teste une autre approche, beaucoup plus agressive.

-J’ai besoin que vous m’achetiez ces bracelets, c’est pour moi aller à l’école
-Tu vas où à l’école ?, interroge Nico, qui sait pertinemment que l’accès à l’éducation n’est pas aisé dans la région
-Ici, déclare-t-il évasivement, j’ai besoin de l’argent pour m’acheter des livres. Ma mère ne sait pas et elle est malade en plus. J’ai plein de frères et sœurs donc on a besoin de l’argent. Bon, vous achetez ?

Je ne sais vraiment pas comment réagir, je suis tiraillé par l’arnaque elle-même et ce gosse qui en est la victime aussi. Je renforce mon petit cœur d’artichaut et répond “non, désolé, on ne veut pas de ces bracelets”.

-T’as quel âge ? Me lance le gosse avec un sourire malicieux, t’as vraiment l’air vieux. T’es un radin et un vieillard !

Je ne réponds même pas et commence à l’ignorer. Thibaut lui redemande de s’en aller, mais, à son tour, se fait invectiver comme une merde. Ce “shaming” prend une tournure très déplaisante et devient volontairement méchant. Le gosse fait la loi et n’a pas peur de balancer les pires horreurs.

-On a compris ! répondis-je en haussant la voix, mais on n’achètera rien ! Maintenant, dégage !

L’ambiance devient bizarre dans ce bar. Le gosse finit par nous lâcher pour aller emmerder d’autres backpackers, mais voilà qu’un autre se ramène à notre table. La « mafia des bracelets » a tout prévu et entame, via leurs jeunes vendeurs, ce bras de fer avec nous. C’est une bataille à l’usure qui s’engage entre ces gamins survoltés et ces backpackers dénués de compassion. Ce n’est qu’après une bonne heure que les enfants sont enfin “ramassés” et disparaissent dans la nuit noire. Sauf qu’il ne s’agit pas d’un ramassage scolaire, mais bien d’un « lift » vers un autre bar ou restaurant. Et les enfants ne sont pas les seuls, il m’est arrivé d’apercevoir des vendeurs que l’on déposait en scooter aux abords des coins touristiques. Il s’agit véritablement de crime organisé. Quelque chose dans cette ville ne tourne pas rond.

Et que dire de la guerre que se livre les chauffeurs de taxi et d’Uber/Grab(similaire à l’application Go Jek du Vietnam) ? Les taxis ont pris d’assaut Kuta Lombok et interdisent l’accès à la ville aux chauffeurs concurrents. “Pouvez-vous sortir du centre et me retrouver à cet endroit ?”, nous supplie notre Grab, “L’accès à la ville m’est interdit. Ils risquent de casser mon véhicule”. Afin d’éviter des ennuis et de payer le prix fort, nous nous retrouvons à marcher en dehors du centre-ville tout évitant les propositions incessantes des chauffeurs de taxis sur notre chemin. “Vous avez pris un Grab hein ?!”, s’énerve l’un d’eux. Nous tâchons de les ignorer afin de ne pas avoir de problème supplémentaire. Cette expérience sur Kuta Lombok n’aura pas été si magique que ça, principalement dû au côté mafieux qui se ressent dans la ville. Il ne faut pas être un génie pour se rendre compte qu’il existe des règles implicites, des codes, des personnes qui y ont du pouvoir. Au cours de notre voyage, c’est l’une des seules villes indonésiennes où nous avons senti autant de magouilles aux alentours de nous.

Quelques bières et feu de camp sur la plage avant de quitter Kuta

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