Monténégro

Chapitre 1 : Lucky guy in Montenegro

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L’envie de partir, de tout foutre en l’air, mais toujours avoir peur de ne plus retrouver ce qu’on perd. Je suis prof. Prof d’anglais dans un collège réputé de la capitale belge, une place enviable. J’aime mon boulot, moins que le voyage, moins que ce frisson de la découverte et du grand bain dans lequel on se noie, mais ça ne se perd pas une place enviable dans un collège réputé de la capitale. Du coup, on ronge son frein et on attend les vacances scolaires, quitte à payer le double pour un vol d’avion à quelques centaines de kilomètres de son petit nid douillet.

Du coup, quand Ryanair se met à casser ses prix déjà très bas pour offrir des destinations plus farfelues pendant les vacances de Pâques, on prend ça pour un signe. Barcelone, Malte, Bari, Porto… les offres défilent n’affichant souvent que 10 euros à débourser. Pourtant, les plages de sable fin, le soleil, la Dolce Vita, ça me tente moyen. Je suis pas non plus du genre à prendre des photos depuis un bus bondé de touristes ou à siffloter dans la file d’attente qui me mènent à un musée. Je dois me faire peur, créer des connexions… sortir de ma zone de confort. L’aventure, quoi!

“T’es bien conscient que là-bas, tu seras pas en sécurité!? Les gens sont violents et pourraient même chercher à vendre tes organes…”

“Le Monténégro à vélo!? Mais t’es pas un peu fou? T’as pas d’endurance, t’as pas de condition physique. C’est pas le signal de Botrange”, coincé entre l’évier et la machine à café de la salle des profs, je subis les moqueries et les brimades de mes collègues. Mon choix était fait. Ce serait ce petit pays de 660 000 habitants coincé entre la Bosnie-Herzégovine, l’Albanie et la Serbie. Le truc… deux fois plus petit que la Belgique… insignifiant, qu’au final personne ne connaît vraiment, mais qui alimente les clichés les plus rudimentaires. “Et tu vas loger où?”

“En tente, le plus possible! Sinon je choperai un Couchsurfing ou un hostel du coin. On verra bien”. Stupeurs et tremblements mêlés de rires compulsifs. La mine incrédule de mes collègues en dit long sur leur confiance en mes qualités de sportifs, mais elle témoigne aussi et surtout d’une certaine peur de l’inconnu.

“T’es bien conscient que là-bas, tu seras pas en sécurité!? Les gens sont violents et pourraient même chercher à vendre tes organes…”. J’étouffe un rire nerveux. Cliché contre cliché, la vieille garde a sorti les bannières du stéréotype. Les plus vieux amalgament les fantasmes confus des films hollywoodiens, de la pauvreté des pays de l’Est et de la violence de la guerre d’ex-Yougoslavie. Quoiqu’il en soit, ces échanges me confirment une et une seule chose : j’ai bien choisi ma destination.

Le voyage durera douze jours, pèsera environ 300 kilomètres et me fera grimper 5000 mètres de dénivelés. Seul avec pour paquetage pas moins de 35kg. Après mes collègues, c’est à ma mère de s’affoler devant ces chiffres alors que j’ai pratiquement terminé de désosser mon vélo dans son salon. Consignes de Ryanair obligent…

“As-tu pensé à une batterie externe et à un GPS pour te guider sur place? », me lance-t-elle du coin de soleil depuis son canapé en tissu. Sans un mot, agenouillé devant la carcasse de mon vélo, je lève mon téléphone d’une main. Pas de stress…

“As-tu assez de vêtements, de matériel pour dormir? »,. Du menton, je pointe mes sacs rangés en file indienne un peu plus loin et je reprends de suite mon travail. Je force sur une pièce qui me donne plus de fil à retordre.

“Es-tu sûr d’avoir tous les outils nécessaires pour remonter ton vélo en arrivant?”, s’approchant de moi l’air apeurée. Mon doigt pointe ma clé à molette et mes clés Allen déjà attachées méticuleusement au haut du cadre. Je soupire, lui jette un regard se voulant apaisant mais teinté d’agacement. Rassurée, elle repart s’asseoir devant son poste de télévision, quand, dans un long mouvement de jambe pour éviter l’engin, elle bute sur un plastique dont le contenu émet un bruit métallique.

“Et ces vis-ci, sais-tu où les remettre une fois arrivé?”, me flanquant le plastique devant le nez.

Je me fige. Mon cœur s’emballe. Alors que je m’apprête à plonger le cadre dans la caisse en carton où l’y attendent déjà les roues, je constate que dans mon empressement, j’ai oublié de confectionner un plan de reconstruction du vélo. Quel imbécile! Dans l’effroi, une image me traverse alors l’esprit. Celle de mes organes et des pièces détachées de mon VTC vendus à Podgorica (la capitale monténégrine) dans des coffrets promos pour monténégrins cyclophiles. “La promo du mois! Un chouette poumon belge assorti d’une chaîne flambant neuve certifiés qualité Merckx”. La déglutition est difficile… Mais pour ne pas affoler ma mère, je tente de calmer le jeu… “L’aventure, c’est l’aventure!”.

 “Si c’est la première fois pour toi, je t’assure que tu n’en sortiras pas indemne. Tu vas être soufflé!”

Nuit agitée, nuit perdue. Le vol n’est qu’à 12h55, mais j’ai l’impression que sous mes pieds le sol s’est déjà dérobé. Je pousse péniblement, la lourde caisse contenant le monstre dans l’habitacle du SUV familial. Je croise le regard de ma mère, gris de cernes et cerné de tension. Je n’étais pas le seul à assembler un vélo dans mes cauchemars cette nuit.

Arrivé à l’aéroport de Charleroi, je cherche le terminal pour le Monténégro poussant tant bien que mal ma caisse, ô combien encombrante. Me faufilant dans la file qui semble être la mienne, j’aperçois dans la brume humaine deux frères d’armes, chariots brinquebalants sous carton de fortune. Sans grande discrétion et l’espoir au vent, je m’approche d’eux.

 – “Dites-moi que vous partez au Monténégro à vélo, je vous en supplie”. Amusés, les deux sexagénaires se retournent vers moi. Grisonnants, chaleureux et baroudeurs de la première heure, Daniel et Laurinne* sont deux retraités qui se goinfrent de voyages et de découvertes dès qu’ils le peuvent. Chance pour moi, c’est toujours à vélo qu’ils le font.

“Oh oui, direction les belles montagnes et la grimpette !”, s’exclame Daniel. “Si c’est la première fois pour toi, je t’assure que tu n’en sortiras pas indemne. Tu vas être soufflé!”

Un steward indique aux passagers détenteurs d’objets encombrants la voie qui est la leur. Surprise! Nous sommes les trois seuls de l’aéroport à embarquer un vélo, et tous les trois vers le Monténégro. Alors que le membre du personnel tente tant bien que mal de pousser la caisse de Laurinne sur le tapis roulant, je me tourne vers elle. Curieux, je lui demande ce qu’elle a pu y mettre.

 – “Oh tu sais on essaie de voyager léger. Juste quelques bagages et mon vélo, un VSF Fahrradmanufaktur. Mais bon, ça pèse une tonne ces engins là !”.

 Un grand sourire se dessine sur mon visage. Non seulement, ces voyageurs m’accompagneront durant le vol, mais ils seront également une aide précieuse dans la reconstruction de mon vélo, ceux-ci possédant exactement le même modèle que le mien. “What a lucky guy, I am!”

 À mon corps défendant, j’étais devenu le clown d’un cirque ambulant

15h20, heure locale et arrivée sereine dans un aéroport aux couleurs ternes. Pas de checkout, ni d’escaliers ou de couloirs interminables. Ici, juste un mur sépare les douanes du massif monténégrin. Le changement de décor, de sécurité et d’infrastructure avec Bruxelles ou même Charleroi frappe. Au Revoir mégacité, good morning coucous-airport!

A peine avons-nous sorti les caisses en carton du terminal que nous sommes déjà les clés au poing sur le tarmac du parking.

“Il nous faut en moyenne deux heures pour réassembler notre vélo”, me lance Daniel, excité comme un enfant devant une boite de Lego.

Devant trois cyclistes acharnés, noirs de graisse et de sueur, une foule d’indiscrets ne met pas longtemps à se former. Peu rassuré, je rassemble mes affaires et les dispose plus près de moi. Me voyant faire, Laurinne rigole.

 – “Regarde et dis bonjour”, me lâche-t-elle.

Ce qu’elle pointe du doigt d’une moue amusée, ce sont ces gens que je n’avais pas bien regardés. Ceux qui, le téléphone en main, s’étaient mis à nous filmer dans notre effort. Trois, quatre, peut-être 5 personnes nous tiraient le portrait. À mon corps défendant, j’étais devenu le clown d’un cirque ambulant. Pourtant, alors que la foule se disperse progressivement et que le montage de nos vélos touche à sa fin, un homme semble ne pas vouloir se défaire du spectacle. Le vélo sur pied, je cherche un endroit où dissimuler la caisse de ce dernier, histoire de la retrouver intacte 12 jours plus tard.

 – “Tu veux que je m’en occupe?”, demande dans un anglais approximatif l’homme assis sur son muret. “J’ai un ami qui peut te la garder dans son garage. Je lui téléphone maintenant et c’est fait”.

“Ah, c’est sympa ça et…”

“Tu me donnes juste 5 euros par jour et tout est géré!”, me lance-t-il sournoisement.

Stupéfait, je reste sans un mot devant une telle proposition. Alors que je croyais l’homme altruiste et généreux de prime abord, je me heurte en fait au marchandage le plus primaire pour un vulgaire bout de carton. Le calcul mental fit le reste. 5 euros X 12 jours de voyage : 60 euros! Ça pique… Avant que je ne décline moi-même l’offre de mon plein gré, Daniel intervient…

« C’est gentil, vous savez mais on se débrouillera. On a l’habitude ». 

Me prenant à part, il m’explique que même si la caisse en carton est nécessaire pour repartir, cela n’en vaut pas la peine. Qui me dit que l’homme se manifestera bien le jour même et à l’heure dite pour me remettre mon dû? Et qu’en sera-t-il de l’état de celui-ci au douzième jour. « Il y a d’autres manières plus ludiques de perdre ton argent ici au Monténégro », me souffle-t-il dans une petite accolade. C’est donc d’un air assumé mais poli que je refuse la proposition de mon « généreux » interlocuteur. Si d’emblée, je me refuse à croire que la magouille fait partie des mentalités environnantes, je dois bien admettre que pour un premier contact avec les Monténégrins, l’image est assez originale.

La nuit tombe et malgré le vélo sur pied, il me faut encore parcourir pas moins de 10 kilomètres pour atteindre le cœur de la capitale. Quelques boulons et vis crissent encore sous mon poids et sous le roulement rapide que j’inflige aux roues. Avant d’entamer ma longue route le lendemain dans les montagnes, je dois absolument trouver un vélociste. Un check-up est plus que nécessaire pour éviter les surprises, mais également pour demander à ce qu’il me réserve une caisse en carton pour le retour. « C’est pas gagné », me dis-je entre mes dents. Il y a plus d’un mois, via le site Couchsurfing, j’ai pris contact avec Ivona, une Monténégrine qui me prête son canapé pour deux nuits. Elle m’attend et est, selon ses dires « avide de me rencontrer ». 

Les derniers jours furent rudes et indécis, filant ainsi dans le vent, la montagne à l’horizon, je me sens libre. Et le voyage ne fait que commencer…

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