Nouvelle-Zélande

Chapitre 11 : A chaque jour suffit sa peine

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Après Christchurch, il était temps pour moi de prendre mon envol et de me remettre à bosser. Mes réserves d’argent diminuaient de plus en plus, mais étaient encore bien suffisantes pour continuer à voyager. Cependant, je voulais profiter de l’occasion pour me refaire une petite santé financière. J’ai donc quitté ma bande de potes, après plus de deux mois de voyage en leur compagnie, en me dirigeant vers Blenheim. Au cours des jours précédents, j’ai reçu une réponse positive pour une place de housekeeper. Ma tâche principale sera de faire les lits dans un holiday park, nettoyer les communs et faire le ménage. J’arrive en avance pour mon interview et me présente directement à la réception.

Blenheim, charmante petite ville

-Bonjour, je suis à la recherche de Liam
-Bonjour, c’est moi-même. Tu es Sébastien ? Me demanda-t-il
-Oui, c’est moi, je suis un peu en avance, désolé
-Vous pouvez revenir dans 10 minutes comme convenu ?
-Heu oui, sans problèmes

Je sors et attend patiemment dehors, alors qu’un vent de bâtard me gifle le visage à répétition. Pourtant, mon interlocuteur n’a pas l’air très occupé. Je le vois en train de se préparer un café. Liam a la quarantaine, mais cela ne se voit pas tant que ça. D’origine chinoise, son visage semble ne pas subir les ravages du temps. Sa coupe au bol, quant à elle, semble tout droit sortie d’un autre temps. Ses petites lunettes tombent sans cesse le long de son nez et il est constamment en train de les ajuster. Une fois les dix minutes écoulées, je rentre de nouveau et il me fait signe de le suivre dans son bureau, situé à l’arrière du comptoir. Il prend place sur une chaise et me demande d’aller en chercher une derrière la réception. Je m’exécute et ne peux m’empêcher de trouver son attitude d’ores et déjà agaçante. Il agrippe mon CV et commence à le consulter.

-Vous n’avez pas véritablement d’expérience en tant que « housekeeper », souligne-t-il
-Non malheureusement, mais je fais mon lit tous les jours, vous savez ! Plaisantais-je alors que Liam ne décrocha pas un sourire, par contre j’apprends très vite et je sais travailler seul. Ma grande capacité d’adaptation est ma force et je compte rester deux mois au minimum si vous vous décidez de m’embaucher.
-Tu as une voiture ?
-Si vous me permettez de rester ici gratuitement, je peux rester sur le camping et venir travailler tous les jours, sans aucun souci

L’espace camping est assez agréable

Liam a finalement l’air convaincu et me fait une visite du propriétaire. L’endroit est grand, pas gigantesque non plus, mais il peut accueillir pas mal de personnes. 12 chambres standard, 8 chambres avec cuisine, 8 chambres avec sanitaires personnelles, deux studios et un lodge avec 12 dortoirs de trois à quatre lits. A cela, il faut ajouter les blocs douche/toilette, l’espace détente et la cuisine. De plus, ces facilités sont dédoublées au niveau du camping. Le terrain, quant à lui, est plutôt vaste, avec des sites “powered” et “unpowered”, comprenez où l’on peut disposer d’électricité et d’autres pas. On y retrouve des barbecues, des bancs, des jeux pour enfants, des canards bruyants, de curieux weka, des lapins par dizaines et… un énorme chantier.

De part et d’autres, le chantier occupe pas mal d’espace

Le pont qui permet aux gens de quitter l’autoroute afin d’arriver à Blenheim se situe juste au-dessus du camping. Ils sont en train d’en construire un nouveau, mais bien évidemment cela prend du temps. Les travaux viennent à peine de commencer, je serai d’office réveillé à 7h tous les matins. C’est en tout cas comme cela que Liam me présente la chose. “Cela ne te dérange pas j’imagine ?”, me lance-t-il avec malice comme s’il essayait de tester mon degré d’acceptation. “Aucun souci”, lui répondis-je avec fermeté, “par contre, comment s’arrange-t-on pour le logement ? Puis-je garer mon van et rester gratuitement ici ?”. Nous convenons d’un deal. Je lui paie deux semaines de loyer, qu’il gardera comme caution et qu’il me rendra lors de mon départ. Ce sera sa garantie pour me faire rester au minimum deux mois.

Dès le lendemain, le travail commence. Je suis accompagné d’Ash, un sacré bout de femme. La cinquantaine, le visage marqué par la vie, une légère cicatrice sur le nez et le regard fermé. C’est elle qui est censé me former et faire découvrir les subtilités du job.

-D’où viens-tu ? Demande-t-elle avec nonchalance
-Belgique, à côté de la France et de l’Allemagne
-Ha, c’est là où il y a plein de drogues ?
-Heu non, c’est la Hollande
-Ha oui, dommage, soupire-t-elle

Je ne réagis pas et continue d’écouter ses conseils. Ash se présente comme étant le fer de lance du holiday park. “Je suis la plus rapide ici. Les chambres standard comme celle-ci, j’en fais 5 avant la pause. En moins d’une heure et demie!”, me rappelle-t-elle. La performance m’impressionne car même si l’espace n’est pas très grand, il y a tout de même trois lits à faire, passer les poussières, l’aspirateur et nettoyer les vitres pleines de condensation.

Des chambres exiguës à nettoyer

Il est 10h30, c’est l’heure de la pause. Ash me demande de la suivre et dit bonjour à une autre collègue que je n’ai pas encore rencontré. “Tu vois cette femme?”, chuchote-t-elle, “c’est Beth. Elle est lente ! C’est incroyable. Le temps que je finisse une chambre, elle est toujours en train de retirer les vieux draps des lits. Elle le fait exprès, ce n’est pas possible autrement. Méfie-toi d’elle.” J’acquiesce, sans trop savoir dans quoi je m’embarque, Ash est plutôt sympathique même si elle me semble quelque peu attirer la poisse. Nous sommes tous réunis dans une salle annexe à la réception où nous profitons du “smoko”, cette fameuse pause de 15 minutes. L’occasion pour prendre une tasse de café et grignoter les quelques biscuits mis à la disposition des employés par Liam. J’essaye de lancer quelques mots en chinois à mon patron afin d’engager un semblant de conversation. Sans aucune sympathie, il me répond sèchement une très longue phrase. Je lui répond, toujours en mandarin, qu’il parle beaucoup trop vite pour moi. “Bha, tu n’es pas resté six mois à Taïwan ? Tu n’as pas appris grand chose alors.” J’hoche la tête gêné et commence à développer une certaine haine à son égard. Je le trouve froid, condescendant et surtout pas très sympathique vis à vis de son personnel.

Parmi eux, Ben, 65 ans, vêtu en bleu de travail. C’est un peu l’homme à tout faire du holiday park. Il coupe du bois, il répare les fuites, les objets cassés, tond la pelouse, construit les jeux pour enfants et j’en passe ! A peine étais-je entré qu’il me demanda d’où je venais et combien de temps je comptais rester. Ensuite, au même titre qu’Ash, il a commencé à monopoliser toute mon attention. Ancien pilote d’hélicoptère, il a vécu sa vie à 100 à l’heure. Grand backpacker, il a voyagé pas mal aux Etats-Unis et au Mexique. “Puis, vers 35 ans, j’ai eu l’impression d’avoir fait tout ce que j’avais envie de faire. Je suis venu ici et j’ai demandé un logement en échange d’un peu de travail. 30 ans plus tard, me voici”, raconta-t-il. J’hallucine ! Ben a, désormais, un salaire et vit dans l’une des chambres standard depuis 30 ans… Bordel, mais comment fait-il ? Je me lasse si vite que je n’arrive pas à m’imaginer rester aussi longtemps au même endroit, en faisant la même chose.

Qu’importe mes considérations, la pause est déjà terminée, je repars bosser avec Ash. “Méfie toi de Liam”, me met-elle en garde, “ce type n’est pas fiable. Un jour, le chien de l’ancienne propriétaire m’a mordu et m’a arraché un bout du nez. Regarde, j’ai encore une cicatrice-là”, me montre-t-elle alors que je l’avais déjà repéré depuis le début de notre conversation. “Ouch”, répondis-je du tac au tac. “Oh, tu sais, la vie n’est pas tendre avec moi depuis le début. Je suis SDF, je vis dans ma voiture avec ma chienne Câline. J’ai eu la chance d’obtenir un contrat ici.” Je regarde Ash et éprouve beaucoup d’admiration pour elle. Elle n’a pas l’air d’avoir eu une vie facile, mais pourtant elle s’accroche. “Je suis en train de mettre de l’argent de côté afin de me payer une caravane, ça sera moins compliqué qu’avec ma voiture.”

La journée se poursuit et Ash est un véritable moulin à paroles. Infatigable, toutes ces histoires sont plus dépressives les unes que les autres. Elle me montre alors le bracelet électronique enroulée à sa cheville et me dit qu’elle a encore quelques mois à tenir avant de se le voir enlever. “Je n’ai rien fait pour mériter ça”, me raconte-t-elle les yeux humides. “J’ai survécu à un cancer et ai perdu tous mes cheveux. Maintenant, j’ai une coupe assez courte avec des extensions”, ajoute-t-elle au sommet d’un ramassis d’un tristesse.

Certaines nuits sont très fraîches, même dans la caisse

Une fois le boulot fini, je n’ai qu’une envie, m’isoler dans ma caisse et ne penser à rien. Ash est, sans le vouloir, une boule d’énergie négative. Facile à comprendre au vu des épreuves qu’elle a dû traverser, mais il est très difficile de lui faire changer d’idées ou de parler d’autre chose que d’elle-même. Dans quoi m’étais-je encore fourré ? Et ce n’était que le premier jour.

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