Vietnam

Chapitre 3 : Souvenirs enfouis

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Nous roulions déjà depuis une bonne demi-heure lorsque Max me suggéra de nous arrêter pour un café. Comprenez, il avait envie que je lui en paie un. Nous nous stoppons dans un établissement de fortune extrêmement mal agencé sur un bord d’autoroute. Une quantité phénoménale de poussière virevolte dans les airs accompagné d’un concerto de klaxons de tous côtés. Un agréable endroit pour commencer une véritable conversation.

-Ça fait longtemps que tu vis à Ho Chi Minh City ? Demandais-je à mon guide

-J’ai toujours vécu à Saïgon, me lance-t-il, et je ne me vois pas quitter cet endroit pour rien au monde

Je réalise alors que Max n’est pas le seul à référer Ho Chi Minh par son ancienne appellation, Saïgon. La plupart des locaux tiennent particulièrement au nom de leur précédente capitale. En effet, au cours de la Guerre du Vietnam, le pays est également divisé. Il ne s’agit pas uniquement des américains contre les Vietnamiens, mais aussi une guerre du nord contre le sud. Lorsqu’en 1975, le nord a finalement vaincu, Saïgon s’est transformée en Ho Chi Minh City en hommage au premier ministre de l’époque. Bien entendu, il s’agissait d’une volonté nordique et non sudiste. C’était leur manière à eux de célébrer symboliquement leur victoire sur leurs ennemis. Il n’est donc pas étonnant que beaucoup de gens mentionnent encore Ho Chi Minh City comme étant Saïgon.

Ces derniers finissaient empalés sur des pics formés à partir de leurs propres armes qui avaient été dérobées par les Vietnamiens. Ils atteignaient de cette manière sévèrement le moral des troupes US

Je demande à Max de me parler un peu des Cu Chi tunnels et de leur importance historique. Il est tout de même censé me narrer l’histoire au cours de notre visite et je le trouve bien silencieux. Par contre, pour me répéter sans cesse qu’il connaît les adresses des meilleures putes, toutes celles qui sont “safe & clean”, sa parole ne tarit jamais. Putain, c’est pénible. Après une nouvelle heure de route, nous arrivons finalement aux Cu Chi tunnels. Ce voyage accompagné de mon guide laconique me donne déjà l’occasion d’observer un peu le Vietnam. Une situation chaotique dans laquelle fourmillent des milliers de gens à tous les coins de rues, ça crie, ça rigole fort, ça fume dans tous les coins et ça picole plutôt pas mal. Ho Chi Minh est une ville plutôt moderne avec de grands buildings, mais je ne lui trouve véritablement aucune âme. Le centre est le repère des arnaqueurs de touristes, de bouffe chères et peu savoureuses (en comparaison avec le reste du Vietnam) et de visages fermés et peu accueillants.

Une trappe particulièrement bien dissimulée

-Voilà ton ticket, me déclare Max en me tendant un papier froissé

-Tu ne viens pas ?

-Non, je t’attends au restaurant qui est là-bas, me pointe-t-il du doigt, on y mangera, c’est local et très bon

-Et tu ne fais pas le guide ?

-Il y a plein de guides dedans, tu n’as qu’à t’incruster dans un groupe, ils sont payés pour ça façon

Je ne me rappelle plus quelle expression déformée j’ai imposé à mon visage, mais c’était un savant mélange de “what the fuck” et de ‘olbataaaard”. Je réalise, encore une fois, avec dépit que j’ai littéralement payé un chauffeur 2 millions de dong. J’ai l’impression d’être le pigeon du siècle en tendant mon ticket qui date de l’avant-guerre au guichetier. Ce dernier l’accepte tout de même et me souhaite une bonne visite. Ça n’aurait pas pu mieux commencer…

Sans guide et complètement perdu, je me fais balayer de groupe en groupe avant qu’on m’intègre dans un. Je suis en compagnie d’une dizaine de Malaysiennes. Elles rigolent, gloussent bruyamment et sentent un parfum très odorant. Un mélange de rose et d’eau de Cologne bon marché. Elles sont curieuses en tout cas et ne cessent de me questionner; “D’où viens-tu ? Tu voyages seul ? Tu as une copine ? Hihihi ” Heureusement, notre guide, un Vietnamien pince-sans-rire n’hésite pas à les interrompre lorsqu’il estime qu’elles ne sont pas attentives. L’homme était hilarant dans ses propos. Alors qu’il nous guidait afin de nous montrer les fameux tunnels qui ont servi aux Vietnamiens durant la guerre – une manière d’éviter d’être repéré par l’ennemi, de se faufiler au plus près d’eux et de les attaquer-, il demandait à des gens de rentrer dans un étroit conduit, remettait la trappe dessus et continuait sa route en disant ; “Une de moins, Dieu merci.”

Des pics prêts à pénétrer la chair

J’ai tout de suite remarqué cette différence avec les Taïwanais, les Vietnamiens comprenaient l’humour ! Non pas que les habitants de Taïwan n’étaient pas drôles, mais il est vrai que l’ironie ou encore le sarcasme leur sont, la plupart du temps, inconnus. Ils ont du mal à déceler les traits d’humour dont nous, Européens par exemple, faisons preuve lors de nos échanges.

Au cours de cette visite, nous avons pu découvrir les tunnels et en apprendre plus sur la Guerre du Vietnam. Cette dernière démarre après la première guerre d’Indochine (opposant la France et le Vietnam pendant 8 ans) clôturée par les Accords de Genève le 20 juillet 1954. Cependant, ce traité n’a pas été ratifié par les Américains et le Vietnam lui-même, ce qui a conduit une profonde division entre le nord communiste (dirigé par Ho Chi Minh, soutenu par l’URSS et la Chine) et le sud du Pays (contrôlé par Diem et épaulé par les Américains). Très vite, le nord décide qu’il serait bon d’unifier le pays. Pour parvenir à ses fins, Ho Chi Minh, décide de s’allier avec les “Viet-congs”, qui représentent le front de libération du Sud-Vietnam. En effet, Diem ne fait pas le bonheur de tous les habitants de Saïgon, il est contesté et certains planifient déjà son assassinat.

En 1964, les USA prétextent une attaque nord-vietnamienne pour mettre la pression et bombarder massivement cette partie du pays. Ils décident également d’envoyer des troupes au sol afin de garantir la sécurité du sud du territoire. La crainte d’un basculement vers le communisme effraie les Américains. Ils décident de se lancer “valeureusement” dans une guerre dite d’usure. Cependant les Viet-congs reviennent toujours en nombre. C’est là que leur vient l’idée de construire cet ingénieux système de couloirs souterrains qui traverse la jungle. Bien que moins nombreux, les Viet-congs utilisaient la violence psychologique sur leurs adversaires. Ils fabriquaient des pièges sous forme de trappes mouvantes qui se dérobaient sous les pieds balourds des Américains.

-Ces derniers finissaient empaler sur des pics formés à partir de leurs propres armes qui avaient été dérobées par les Vietnamiens. Ils atteignaient de cette manière sévèrement le moral des troupes US, nous expliqua le guide au cours de la visite.

Il faudra attendre jusqu’au 31 janvier 1968, lors du nouvel an lunaire, pour que le peuple américain plonge dans une profonde discorde demandant l’arrêt de la guerre de toute urgence. Les Viêt-congs et l’armée populaire Vietnamienne ont lancé une offensive surprise sur plus de 100 villes du Sud-Vietnam. C’est une victoire, tant sur le plan médiatique que psychologique. Il faudra néanmoins attendre la signature des Accords de Paris en 1973 pour voir le retrait progressif des Américains par le président Nixon. Tout le monde se souvient de cette photo de Kim Phuc, jeune fille brûlée, dont le sort a ému de nombreuses personnes. Le Sud finira par perdre deux ans plus tard face aux communistes. La guerre aura fait près de 3 millions de morts dont deux millions de civils. Une époque sombre qui a profondément marqué le Vietnam et qui se ressent particulièrement en parcourant les tunnels.

En quittant cet endroit, on se sent bouleversé, malgré les quelques personnes qui continuent de rire en prenant des photos, ne se rendant pas compte de l’impact qu’a eu la guerre. Après la visite, j’ai rejoint mon incompétent de guide, j’ai mangé dans un “restaurant local” où il avait l’air de connaître la patronne. Un plat fade, sans saveurs, que j’ai englouti sans trop d’appétit. J’ai repris la route en sa compagnie, lui ai encore payé un café à mi-chemin. Je suis descendu de sa moto une fois arrivé à Ho Chi Minh. Il a bien encore tenté de me proposer d’aller voir des prostituées ou de me vendre de la drogue, mais je n’avais pas du tout la tête à ça. Je lui ai lancé un sourire de façade et j’ai espéré ne plus jamais le recroiser.

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