Egypte

Chapitre 6 : Descente aux enfers

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Je suis enfin de retour à l’appartement après cette journée géniale en compagnie d’Osman et de ses potes. J’ai un sentiment euphorique et me rend de nouveau compte de la chance que j’ai de pouvoir voyager et vivre mon rêve. Claqué par cette journée, je décide de me poser dans mon pieu pour mater un film. Quand soudain, on frappe à la porte. Comme me l’avait recommandé Walid, je ne réponds plus aux sollicitations, mais cette fois-ci, quelque chose me semble encore plus bizarre. On tambourine à la porte pendant presque vingt minutes avant que les coups ne cessent. Je le contacte donc sur Messenger, mais ce dernier me confirme que je ne dois pas ouvrir. “Étrange, étrange…”, pensais-je de plus en plus craintif. “Heureusement que je me barre demain pour Sharm-el-Sheik”. Une grosse demi-heure plus tard, alors que je suis en plein visionnage d’un film, on frappe encore une fois à la porte, mais cette fois-ci, c’est carrément à coups de pieds.

Une bien étrange discussion

Je me lève et me dirige vers la porte d’entrée, bien décidé à ouvrir tout de même cette porte. Cependant, je tombe nez à nez avec l’un des colocs de Walid. Je lui fais un signe d’incompréhension, mais il me chuchote de ne pas m’en mêler et de retourner dans ma chambre. J’aime de moins en moins ce sentiment de crainte qui s’immisce par tous les pores de ma peau. Je retourne dans ma chambre, inquiet, et m’imagine des scénarios loufoques. Je contacte une amie de Nouvelle-Zélande et je lui explique la situation en lui disant que je ne suis pas rassuré. 

Je ne sais pas… J’ai juste eu le temps d’envoyer un message à ma famille en leur disant que je les aimais. Tu devrais en faire de même.

Je poursuis alors le visionnage de mon film en tentant de faire abstraction de l’ambiance étrange qui règne et appesantit l’air. Tout d’un coup, j’entends la porte d’entrée qui cède. Mon sang n’a fait qu’un tour. Je sens mon corps se raidir, comme un symptôme d’anticipation, et je me redresse lentement. La porte de ma chambre s’ouvre avec fracas et quatre personnes y pénètrent. S’ensuit un brouhaha pas possible dans un dialecte arabe, des hommes allument la lumière, regardent ce que je suis en train de mater sur mon ordinateur avant de le fermer d’un coups sec. Ils me hurlent dessus en me pointant du doigt.

-Je ne suis pas Walid ! Je suis juste un touriste ! Répétais-je plusieurs fois en levant les mains en l’air pour leur montrer que je ne suis pas une menace. 

« Que font-ils ici ? Walid leur doit surement de l’argent« , m’imaginais-je.

La porte a été défoncée après des coups de pieds répétés.

Ma crainte est que Walid est un dealer de drogue et qu’il doit de l’argent à une bande. J’ai le pressentiment qu’ils vont me tabasser et prendre toutes mes possessions. Je sens venir le passage à tabac.  Les battements de mon cœur s’entrechoquent dans ma poitrine, je sens un frisson qui me parcourt tout le corps.

-Passeport ! Passeport ! Hurle l’un d’eux. Je me retourne, fouille dans ma poche et lui donne ma pièce d’identité, à la fois troublé et impuissant face à cette situation que je suis incapable de désamorcer.

Ils quittent alors ma chambre et commencent à toquer aux autres portes. Je m’empare de mon téléphone, que j’avais pris le soin de cacher sous mon oreiller, et envoie une brève mise à jour à ma pote. Je lui dit que des gens sont rentrés dans mon Airbnb, qu’ils ont pris mon passeport et je décide de lui partager ma localisation. A peine ai-je fini d’envoyer mon message qu’un homme m’empoigne par le col de mon T-shirt et me conduit dans le salon. J’y retrouve Carlos, tout aussi choqué que moi, l’air hagard dans son pyja-short.

-Qu’est ce qui se passe ? Lui demandais-je, qui sont ces gens ?

-Je ne sais pas… Me répond-il, j’ai juste eu le temps d’envoyer un message à ma famille en leur disant que je les aimais. Tu devrais en faire de même…

J’avais constamment peur qu’ils découvrent que je partageais ma localisation

Une pointe de stress me transperce le ventre. J’essaye de me calmer et de comprendre la situation, mais tout reste très confus. Les quatre personnes nous entourent et je remarque que l’un d’eux tient fermement nos passeports en main. Il doit probablement s’agir du “chef” car il est le seul à baragouiner quelques mots en anglais. 

-Qu’est ce que vous faites ici ? Nous demande-t-il. 

-Nous sommes des touristes ! 

-Que faites-vous ici ? Insista-t-il de nouveau

-C’est la vérité, nous sommes des touristes ! Nous avons juste loué un Airbnb pour visiter le Caire

-Airbnb ? 

-C’est comme Booking, mais chez l’habitant ! Tentais-je de lui expliquer en balbutiant quelque peu.

-Et bien ici vous êtes en Egypte et en Egypte le Airbnb c’est illégal !

Mon regard se tourne vers Carlos avec perplexité. Je vois qu’il n’a pas l’air au courant du tout. Je ne suis donc pas le seul à l’ignorer. Je ne comprends pas. Le site d’Airbnb propose plusieurs logements. Si c’était illégal, ça ne devrait pas être possible de louer un bien, non ? Existe-t-il un vide juridique ? Un peu à la manière d’Uber dans certains pays. Je me perds dans mes pensées, mais suis rapidement de retour à la réalité quand le gars en question nous explique qu’il fait partie de la police. Je reste bouche bée et tente de trouver une quelconque répartie, mais je suis à court d’idées.

-Pourquoi vous ne répondiez pas à la porte ?

-On nous a dit de ne pas répondre! Tentais-je de me justifier à plusieurs reprises

-Qui a dit ça ?

-Walid, le propriétaire !

-Tu vas appeler Walid immédiatement ! Me somme le policier, tu l’appelles maintenant !

Je m’empare de mon téléphone et l’appelle sur Messenger. “Mets la vidéo”, m’ordonne le même type. Je m’exécute et, après quelques sonneries, Walid décroche enfin : “Hey mec, ça va ? Tout se passe bien ? Ils sont partis ?” Je suis paralysé et ne sait pas quoi dire. Je tourne la caméra pour lui montrer la situation dans laquelle nous sommes. Le policier m’arrache le téléphone des mains, furieux, et commence à engueuler mon hôte qui finira par raccrocher quelques secondes après. Là, je commence à me dire que ça pue sérieusement. Je vais pour récupérer mon portable, mais le type m’en empêche et me dit « C’est à moi désormais!« . Plus de passeport, plus de téléphone, je m’imagine le pire. En plus, je stresse à balle car s’il se rend compte que j’ai partagé ma localisation, comment va-t-il réagir ?

Ne répondant plus, mon amie s’imagine le pire

Au cours de la soirée, mon téléphone se met à vibrer à plusieurs reprises. Je prie pour qu’ils n’aillent pas lire les messages, même si cela me semble illusoire. J’essaye de relativiser en me disant que ce sont bel et bien des policiers, mais aucun d’entre eux ne m’a montré de plaque. Cependant, je n’ose pas les contredire ou leur demander de voir leur une preuve d’identification. Nous sommes en Egypte, pas en Belgique. J’ignore quelles sont véritablement les lois qui régissent le pays.

C’est dans ce lieu que je serais interrogé pendant plus d’une heure et demie

Nos deux téléphones sont posés sur la table et l’un des collègues du « chef »  nous demande de nous asseoir sur le fauteuil. Ils sont tous affairés à  regarder nos passeports et entament un questionnement: “Vous êtes arrivés d’où ? Où allez vous ? C’est quoi tous ces tampons ?” Alors que nous essayons de répondre, un autre homme nous file une cigarette que nous acceptons avec plaisir. Nous sommes confus par l’attitude diamétralement opposée de certains nos interlocuteurs. « Ils nous font le coup du good cop, bad cop ?!« , m’interrogeais-je de plus en plus perplexe. Quelques minutes plus tard, un autre homme, à la carrure imposante et vêtu d’une veste de costard pénètre dans la pièce. Il se présente comme étant du FBI en Egypte et nous demande s’il y a encore une autre personne dans l’appartement. Automatiquement, je lui réponds par l’affirmative. Je lui confirme avoir parlé à un autre coloc qui m’a interdit d’ouvrir la porte d’entrée en début de soirée. Je les amène devant sa chambre et le gars du FBI se met à toquer avec insistance. Aucun son ne provient de la chambre. L’homme me regarde avec le visage grave et me dit de prévenir “mon pote” et de lui dire que c’est le FBI. J’hallucine ! Je n’en reviens pas. Je suis en train de frapper à une porte en disant : “Mec, ouvre, il y a le FBI. Si tu n’ouvres pas, ils vont défoncer ta porte.” J’ai l’impression de faire un cauchemar qui n’est pourtant pas encore près de s’arrêter. L’inspecteur me regarde alors et me demande : “Il a une arme ton pote ?” Je lui réponds que je “n’en sais rien, mais que j’espère que non.” Je me recule alors et me cache dans l’entrebâillement d’une autre porte avec l’Argentin. Un autre policier nous bloque le passage au cas où ils nous prendrait l’envie de nous enfuir. Ils arrivent, assez facilement, à défoncer la porte du coloc, cloîtré dans sa chambre, et l’extirpent de son lit pour l’amener jusque dans le living. Ils échangent quelques mots en arabe, vérifient son identité et l’un d’eux décide de le ramener dans sa chambre et de l’y interroger là-bas.

De notre côté, Carlos et moi-même sommes assis sur le fauteuil du salon, attendant impatiemment que cet enfer ne se termine. Le gars travaillant pour le FBI s’empare alors de mon passeport et se met à le feuilleter avec attention.

-Hé bien… Commence-t-il, vous voyagez beaucoup il me semble ! Qu’est ce que vous fuyez ?

-Mais rien ! Me défendais-je, j’adore juste voyager, c’est tout !

-Comment vous pouvez vous permettre tous ces voyages ? C’est quoi votre métier ?

Là, je commence à paniquer encore plus. Je réalise que si je leur dit que j’étais journaliste auparavant, la situation risque de s’envenimer  et  prendre un tournant encore plus « dark ». Je les regarde avec assurance et leur dit que je suis copywriter.

-Ha ben, si vous êtes copywriter, vous avez un ordinateur alors ? Allez me le chercher !

J’acquiesce et part dans ma chambre, escorté par l’un de ses collègues. Plusieurs réflexions me passent par la tête. Je suis en panique, bien que je ne le montre pas. Je tends mon ordinateur au “chef” qui me demande de l’allumer et de mettre le code afin que son collègue puisse le fouiller. Je le vois ouvrir différents fichiers, regarder les photos et consulter mon historique. Je suis en panique. Que faire s’il tombe sur mon dossier terroriste (dossier que je m’étais constitué lorsque je travaillais en presse sur les attentats) ou sur des photos de soirée, une sex-tape, une image bizarre, une conversation, une blague de mauvais goût ou n’importe quoi en fait ! Au plus j’y pense, au plus je sens mes muscles se crisper.

-Vous parlez arabe ? Lance l’agent du FBI en me sortant de mes pensées

-Non, pas du tout !

-Ha, pourquoi est ce que je vois des messages envoyés en arabe alors ? M’annonce-t-il en laissant échapper un sourire satisfait

-C’est parce que j’utilise Google Translate pour communiquer avec des locaux, c’est bien plus pratique que l’anglais ! Vous pouvez regarder les messages !

-Je constate que vous avez été récemment voir des mosquées sur Google Maps

-Tout simplement pour visiter ! Rétorquais-je

-Et le quartier copte, le lendemain ! Ajoute-t-il

-Mais oui, je suis là pour visiter le Caire ! C’est normal que j’aille y faire un tour, au même titre que les pyramides

-Ha, oui, je constate que vous avez pris un Uber aussi pour…

-M’enfin monsieur, c’est normal, nous sommes des touristes ! Nous sommes là pour visiter, on n’a rien fait de mal ! Le coupe Carlos

Je me rendrai compte plus tard que le bonhomme avait ouvert toutes les applications possibles et fouillé mon téléphone de fond en comble. Sur le moment même, j’étais en panique. Je flippais et priais pour ne pas qu’il tombe sur quelque chose de déplacé, bizarre ou du moins suffisant pour éveiller sa suspicion. Je pense aussi à la bouteille d’alcool que j’ai dans mon sac, comment vont-ils réagir s’ils la trouvent ? L’interrogatoire aura duré 1h30. Soudainement, l’homme qui nous apparaissait comme menaçant a déposé nos téléphones et passeports sur la table, s’est levé et nous a tendu la main pour nous saluer.

-Tout en ordre, vous êtes des bonnes personnes !

J’agrippe sa main par réflexe et la serre mécaniquement, mais je ne peux m’empêcher de réclamer mon dû.

-Excusez-moi, mais vous pouvez nous expliquer ce qu’il vient de se passer là ?!

-Nous avons reçu un coup de fil anonyme d’un habitant de l’immeuble, étonné qu’il y ait des étrangers dans l’appartement. Nous sommes donc venus vérifier, mais le propriétaire n’était jamais là et vous ne répondiez pas…

Alors qu’ils s’en allaient, j’ai eu une révélation. Je réalise qu’on est à quelques jours des dix ans de l’anniversaire de la révolution égyptienne de 2010. L’appartement est très bien situé, à proximité de la place Tahrir et du musée égyptien. Je comprends, soudainement, que le gars s’attendait à trouver des mecs en pleine préparation d’une attaque ou d’un attentat. Raison pour laquelle, nous aurions utilisé un logement Airbnb qui n’est pas légal et qui n’est pas contrôlé par le gouvernement. 

L’appartement où tout a basculé

Une expérience totalement “what the fuck”. Carlos refuse de rester une minute de plus dans cet appartement et prépare ses affaires pour prendre son avion. Il me propose de l’accompagner, mais mon avion n’est que demain en début d’après-midi. Je décide de boire un grand verre de vodka et d’aller me coucher. J’aurai dormi quelques heures à peine et quitterai l’appartement avec la boule au ventre. Que s’est-il passé ? J’ai encore du mal à le réaliser en prenant mon taxi vers l’aéroport du Caire.  Le choc n’arrive qu’après. Cela aurait-il pu se passer différemment ? Et si j’avais réagi autrement sur le moment même ? Je monte dans l’avion, le regard livide, les yeux rougis dû au manque de sommeil, les muscles crispés. « Tout va bien, tout va bien« , me répétais-je pendant le vol. « Plus rien ne peut t’arriver maintenant« 

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