Taiwan

Chapitre 8 : Sous le feu des projecteurs

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Joyeux Noël ! Et surtout… une bonne fin de travail ! Au terme de ce mois de labeur, mes doigts sont brûlés de tous les côtés, mes ongles remplis de caramel et mon front suinte la transpiration mélangée à la fumée des friteuses. Cette dernière journée de taff s’est terminée par le démontage du stand et le déménagement de tous les équipements vers la cuisine centrale. Au cours du trajet, j’interroge Dominique quant à la suite de notre collaboration. Malgré les heures supplémentaires indûment payées, il était mon seul “fournisseur” d’argent jusqu’à présent. Je ne pouvais décemment pas me défaire aussi facilement de ce travail.

-Alors, c’est bientôt l’ouverture du restaurant à Taichung ?, lui demandais-je intéressé.
-Ouais dans quelques jours, me souffle-t-il sans relancer la conversation.
-Je ne sais pas si tu te souviens, mais tu m’avais parlé d’une place disponible à Taichung lors de l’entretien. Qu’en est-il maintenant ?
-Mmh, j’aimerais bien, mais je ne suis pas encore sûr pour le moment. Il faut voir comment le restaurant marche d’abord. Après, tu peux toujours préparer quelques pâtons de gaufre quand j’ai en besoin. Mais ça ne sera pas tout le temps évidemment. Ecoute, je te dis quoi bientôt… lance-t-il évasivement.

Résolu, je me dis que je n’aurais probablement plus jamais de nouvelles de Dominique. Par chance, je reçois quelques jours plus tard un coup de fil me proposant de jouer dans une publicité ! En effet, en novembre, je m’étais décidé de suivre les conseils d’un pote en m’inscrivant à une agence de mannequins. La plus-value des étrangers, déjà constatée depuis deux mois, se confirme également dans ce domaine. Désespérément en quête de nouveaux visages, de nouveaux profils (comprenez d’étrangers blancs), les agences de mannequins ne refusent quasiment personne. “Même toi t’as ta chance”, m’avait balancé un pote. Sacré coup dans les burnes, merci ! J’avais décidé de faire valoir ma différence et me suis lancé dans une lettre de motivation enflammée.

Chère madame, cher monsieur,

Je m’appelle Sébastien, je suis un Belge de 29 ans à la recherche d’une opportunité de travail en tant qu’acteur/modèle. J’ai déjà effectué trois années de théâtre dans lesquelles j’ai puisé confiance et assurance. J’ai, sans doute, un profil qui ne correspond pas aux standards que vous trouverez dans d’autres agences. Mes yeux bleus et mes cheveux gris font mon charme, celui dont manquent cruellement vos autres candidats. Motivé, fiable et mature, j’ai également un solide sens de l’humour. J’ose espérer que vous l’aurez remarqué. Cordialement. ”

Hilare après la rédaction de cette lettre à moitié ivre, je décide d’envoyer quelques photos issues de la pièce que j’avais eu l’occasion de jouer en 2017. Suite à mon message Facebook, je reçois dès le lendemain, une réponse pour un entretien.

Fixe-moi… Plus intense le regard… Ouvre un bouton de ta chemise…

Une semaine plus tard, je me rends à l’endroit indiqué. Une fois arrivé, Patty, une jeune Taïwanaise m’explique les règles de ce “nouveau travail”, et prend quelques photos de moi en mode « Fixe-moi« , « Plus intense le regard » , « Ouvre un bouton de ta chemise« . Je m’efforce de ne pas rire. Je signe alors un contrat avec elle dans lequel est stipulé ce que je peux faire et ce qui m’est totalement interdit, comme par exemple spoiler ou dévoiler un nouveau produit avant que la publicité ne soit officiellement sortie. Ne pas tourner pour une agence concurrente, toujours appeler mon “agent” en cas de proposition de casting ou autre. Les rôles qui ne nécessitent pas de casting sont, par conséquent, moins bien payés. Cependant, cela représente déjà tellement plus que la vente de gaufres et frites que je n’espère qu’une seule chose, en avoir plein ! Mais voilà, depuis mon inscription en mi-novembre, je n’avais plus eu de nouvelles de Patty. Ma surprise n’en fut que plus grande lorsque je reçu un message pour tourner dans une publicité.

Bien évidemment, j’accepte la proposition sans broncher. Mike, mon colocataire, habitué des tournages, me confie se faire des “couilles en or” à chacune de ses apparitions. Après avoir signé plusieurs contrats d’exclusivité avec des grandes marques et être apparu dans de nombreuses pubs au volant de voitures de luxe, portant des tenues improbables ou faisant la promotion de casques audio, il est devenu une valeur sûre pour l’agence avec laquelle je travaille également. Il adore tellement ce qu’il fait, qu’il a même créer une page Facebook pour sa carrière de modèle. Sa copine, quant à elle, a signé un contrat avec une marque qui développe des “I-Mirror”. Objet intelligent qui vous dit quel type de peau vous avez, sur quelles zones appliquer votre maquillage, comment traiter vos problèmes de sébum, tout simplement fascinant… Il leur arrive même parfois de travailler ensemble de réaliser des shootings en couple.

Quelques jours plus tard, me voilà devant l’immeuble où sera tourné la publicité. J’emprunte l’ascenseur pour rejoindre le 10e étage. C’est un véritable capharnaüm. Les techniciens courent dans tous les sens, les agents s’égosillent à appeler leurs “protégés” et le big boss parade avec son mégaphone. Il était très facile de repérer les personnes ayant déjà l’habitude de ce petit manège: de vrais connards. “Le café était meilleur la fois passé”, “Oh t’as vu comment ils sont petits cette fois les sandwiches”, “Ouais c’est qu’un plat par personne aujourd’hui”, « Je vais faire un live Facebook pour mes fans« . Autant de remarques qui me font halluciner, surtout venant de pseudos stars qui compilent des pubs pour du papier hygiénique et des biscuits à la vanille. Je retrouve, peu de temps après, Patty qui me présente son “groupe d’acteurs”. Autant le dire franchement, il y a à boire et à manger. Tous les types de profils sont recherchés : grands, minces, chauves, petits, gros, personne n’est réellement mis sur la touche. Patty est plutôt contente, nous avons tous décrochés des rôles “importants”. Nous jouons les employés de deux compagnies distinctes, qui annoncent leur fusion et la création d’une monnaie virtuelle pour concurrencer le Bitcoin. Si certains de mes camarades ont des rôles parlants (majoritairement des anglophones, soyons francs), je me contenterai d’un rôle de composition (comprenez muet).

Vue depuis ma chaise de « CEO » face à une armée de faux journalistes

Direction les loges où les stylistes me demandent ce que j’ai amené. Je leur montre mon sac de vêtements. En un seul coup d’œil, elles me demandent de le laisser sur le côté et me refilent d’autres fringues. Je passe ensuite au maquillage, à la coiffure et en moins d’une trentaine de minutes, je suis fin prêt à tourner. Sauf que les équipes de tournage ne s’entendent pas et traînent. Deux heures se sont déjà écoulées et je n’aurai encore rien fait, si ce n’est m’empiffrer de cake au chocolat. Il faudra encore compter une bonne trentaine de minutes avant que le tournage ne démarre. Le pitch est terriblement mauvais: une fausse conférence de presse mise en scène dans laquelle les membres des deux compagnies annoncent l’avantage de leur fusion, la création de cette monnaie virtuelle et une scène de fin entre journalistes et membres des entreprises qui se conclut avec des coupettes de champagne… Le tournage en soi était marrant, malgré certaines contraintes inhérentes à ce type de métier. « On la refait… Prise 24! » pour une marche dans un couloir… Un régal !

Plusieurs acteurs, dont moi, se font expliquer la scène suivante.

Le plus drôle, c’est que mes camarades « acteurs » et moi-même avions des fausses identités. Identités qui, selon le script et conseils des responsables de la compagnie, devaient faire partie de la stratégie marketing. Des photos ont été prises afin d’être rajoutées sur un site web annonçant la création de cet événement. Nous faisions donc « véritablement » partie de la compagnie pour le monde extérieur. Nos photos associées à notre fonction devaient faire croire à notre existence et donc à la véracité de cette « info-mercial ». Une belle arnaque !

Au final, huit heures se seront écoulées et je serais parvenu à gagner 7200 NT (205,70 euros environ). C’est la fête ! En comparaison, après avoir travaillé 10 heures à cuire et vendre des gaufres, j’avais gagné 40 euros… Qu’est devenue la publicité ? Je l’ignore en ce moment-même. Mon agent ne l’a toujours pas reçue. Serait-elle en post production ? A-t-elle été abandonnée ? Je suis déçu de ne pas avoir pu constater le résultat final… et je ne suis probablement pas le seul (bande de salopards).

Certaines personnes avaient des scènes solos à réaliser.

Après cette expérience, je constate cruellement que je ne pourrai rester éternellement sur Taipei. Le coût de la vie dans la capitale, beaucoup trop élevé, mon loyer assez cher (380 euros sans charges) et ce travail pour le restaurant belge qui n’est pas assez payé et trop irrégulier. Tous ces facteurs ne me permettent pas de rester ici. Je dis au revoir à mes amis les plus proches et je quitte ma colocation. Avant cela, il me restait une personne à voir afin d’annoncer la nouvelle.

Fiona reste impassible. Après lui avoir expliqué mon envie de partir vers l’est pour continuer mon voyage, elle ne sait que répondre. “Je comprends”, chuchote-t-elle à demi-mots. Je sens une forme de tristesse dans sa voix. Je crois qu’elle était déjà fort attachée à moi. Avec le recul, je me dis que cela ne fait pourtant que deux mois que l’on se fréquente, mais la plupart des Taïwanaises, qui ont le profil de Fiona, sont très romantiques et cherchent le prince charmant. Je pense qu’elle espérait que j’abandonne mes plans pour rester auprès d’elle. Nous nous quittons sur un dernier baiser au goût amer. Je la regarde s’éloigner et descendre dans la station de métro, non sans avoir un léger pincement au cœur. Seul un retour sur Taipei me donnerait l’occasion de la revoir…

Vue de la Teapot Mountain, à Jinguashi, au nord-est de Taïwan

Il est temps de prendre la direction de l’est, réputé comme étant très joli et considéré comme la “campagne” de Taiwan. Je ne tombe pas dans la bonne saison, en janvier, c’est toujours l’hiver ici. Il ne fait donc pas chaud, il pleut souvent, il vente très fort et l’humidité présente ne permet pas d’apprécier à 100% la situation. Si le temps a évolué de manière positive sur Taipei, avec moins de pluie et quelques éclaircies assez chaudes, j’ai retrouvé des températures peu agréables. Entre 15 et 20 degrés, dans des hostels qui n’ont évidemment pas de chauffage, qui sont mal isolés et qui ne permettent pas de passer des nuits reposantes. La faute à des matelas durs comme de la pierre et à des Taïwanais qui hurlent dès le lever du soleil (ou qui parlent, c’est selon le point de vue). Ce qui ne m’échappe pas depuis mon évasion vers l’est, c’est les déchets présents sur les plages et sur le bord de la route (si j’avais su à cette époque qu’en comparaison avec le Vietnam et l’Indonésie, Taïwan est plutôt peu pollué, je ne l’aurais pas cru au début). Ce qui se cache aussi à chaque coin de rue n’est pas forcément un déchet, mais une saloperie de clébard prêt à vous becter à la moindre occasion. En effet, comme dans d’autres pays d’Asie, ces chiens « errants » ne sont pas vraiment considérés comme étant des membres d’un foyer à part entière, mais sont nourris par les habitants. Par conséquent, ils protègent ce qu’ils estiment être leur territoire et aboient dès que vous pénétrez ne serait-ce que d’un millimètre dans leur environnement. J’ai toujours détesté les chiens et ce n’est pas prêt de s’améliorer à Taiwan. Je pense “rage”, je crains l’infection à chaque coin de rue. Peu importe, je ferai diversion, apprendrai à vaincre cette peur au fur et à mesure. Pour l’anecdote, je me suis fait courser par un chien à trois pattes. Après avoir tenté une technique d’aboiement pour lui faire peur (oui, j’ai rétorqué un “wouf” à un chien), je lui ai lancé de l’eau et ça l’a fait fuir. Assez d’émotions pour le moment, je continue mon aventure en me dirigeant vers l’est. Prochaine étape Hualien !

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