Taiwan

Chapitre 3 : Faire profil bas

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Fiona ne déroge pas aux clichés concernant la gente féminine, elle est en retard. Non pas dix minutes, mais plus d’une heure. Me voilà déjà énervé avant même de la rencontrer. Le temps se couvre de plus en plus et je me demande vraiment si cette idée de trek à l’Elephant Mountain est bel et bien une bonne idée. Qu’importe, mon projet de base était de l’attirer avec une randonnée avant d’entrer dans le vif du sujet et de la questionner sur les relations sino-taïwanaises.

Fiona arrive au loin. Courte sur pattes, comme beaucoup de Taïwanaises, mais mignonne et souriante. J’en parviens même à oublier son retard. Je tente une accolade, mais Fiona reste stoïque, les yeux écarquillés. Effectivement, la plupart des Taïwanaises ne sont pas très tactiles et plutôt pudiques. Il en va de même avec leurs amis proches envers lesquels ils ne montrent pas de marque d’affection trop forte. Un simple geste de la main est suffisant pour se saluer, se dire au revoir. Une attitude qui semble s’estomper au plus ils se retrouvent en présence d’Occidentaux. Les marques d’affection deviennent alors plus concrètes et moins gênantes que celle que j’ai maladroitement tentée. Après avoir baissé mon bras le long de mon corps, je me sens, non seulement ridicule, mais j’ai peur d’avoir froissée mon rencard et interlocutrice. Néanmoins, je décide d’enchaîner la conversation en la questionnant de phrases bateau. “Comment tu vas ?”, “Tu vis où ?”, “Tu as des frères et sœurs ?”, “Tu es déjà venue ici ?”

Une vue splendide sur Taipei

Fiona est réactive et se révèle moins timide que je ne le pensais. Nous débutons l’ascension des 600 marches avant d’arriver au sommet. Le hasard fait également que Fiona parle italien, mieux que moi, un comble! Elle est partie vivre un an à Rome dans le cadre de ses études. Cette professeur de langue ne peut s’empêcher de me questionner sur mes connaissances en chinois. Je tente alors quelques phrases, mais me fait corriger toutes les deux voyelles. Grâce à elle, je me sens progresser au fur et à mesure de notre ascension. Une fois arrivé au sommet, la pluie s’intensifie et je décide de sortir mon nouveau parapluie, acheté justement pour l’occasion. Nous nous asseyons quelques instants sur un banc, pour admirer la vue qui s’offre à nous. 

Le trek n’est plus balisé, mais semble continuer encore. Notre goût partagé pour le voyage et la découverte nous pousse à emprunter ce nouveau chemin, sans véritablement savoir où il va nous mener. Les conditions climatiques rendent notre progression plus lente. Le chemin devient boueux et l’ascension ardue. L’entraide et la complicité grandissent entre nous. Je lui tends ma main entre deux rochers particulièrement glissants, Fiona l’attrape et serre la mienne. Après nous êtres extirpés de la forêt, après près de 2 heures de marche, nous reprenons des forces dans un restaurant du coin. La promiscuité qui existait entre nous s’égraine de plus en plus. Nous discutons de nos vies respectives et des raisons qui nous font aimer le voyage. Fiona me parle de son amie qui vit en Chine avec laquelle il faut parfois “éviter certains sujets”. C’est finalement dans un Starbucks du centre-ville que je me décide de lancer les hostilités en rebondissant sur sa confidente.

-Est-ce que tu causes avec ton amie de la relation entre Taiwan et la Chine ?

-C’est justement le sujet à éviter, rigole-t-elle, ça nous mettrait toutes les deux mal à l’aise…

-Tu ne mentionnes donc jamais ce sujet même avec ton amie ?

-Hors de question. D’ailleurs avec tous les Chinois que je rencontre, je n’aborde jamais le sujet. On ne veut pas se fâcher.

-Car ils pensent tous que Taïwan n’est qu’une province de la Chine, ais-je répliqué

Fiona semble contrariée. Elle ne répond pas et reprend une gorgée de “bubble tea”. Après avoir fait une moue, elle se décide enfin à parler.

-Si ça ne tenait qu’à moi, je leur dirais que Taïwan est un pays à part entière, mais je ne peux pas le faire de manière aussi brutale.

-Tu as peur ?

-Je crois sincèrement que la Chine pourrait un jour utiliser la force pour reprendre Taïwan Peut-être que je me fais des idées, mais je suis certaine que cela pourrait arriver. Je ne garantis pas à 100%, mais cela reste une de mes peurs.

-Qu’est ce que tu penses de toute cette situation ?

-C’est inacceptable, il y a toujours des nouvelles provocations comme avec ce fameux traité. J’ai même manifesté avec des amis en mars 2014.

-Quel traité ?

-C’est difficile à expliquer en anglais, mais tu en apprendras plus en allant voir le site web qui a été créé à cette occasion. Plusieurs étudiants et amis ont occupé les locaux du Parlement et j’ai manifesté dans la rue pour protester contre la sournoiserie du KMT

De quoi s’agissait-il ? En 2010, un accord de libre échange a été signé entre le gouvernement de Ma Ying-Jeou, président de la République de Chine (2008 et 2016) avec Taiwan. Le but premier de cet accord était une réduction des tarifs douaniers de la Chine sur 536 produits. Taiwan, quant à elle, s’engageait à réduire les droits de douane sur 267 types de produits. Dans la foulée, l’accord prévoit plusieurs négociations concernant de futurs accords plus spécifiques et approfondis. Trois ans plus tard, au courant du mois de juin, le  CSSTA (accord commercial sur le service entre deux rives) est signé au cours d’un congrès à Shanghai. Cela implique l’ouverture de 64 entreprises taïwanaises aux investissements chinois et 80 entreprises chinoises seront ouvertes aux investisseurs taïwanais. En gros, Pekin se voit offrir une autoroute au sein du secteur des services.

La peur grandit rapidement auprès de la jeunesse taïwanaise qui forme le mouvement Tournesol. Comme le résume très bien le Monde en citant le Taipei Times :”«de jeunes gens peuvent réaliser leurs rêves en ouvrant des cafés ou bien des ateliers et devenir leur propres patrons en travaillant dur». En cause, des sociétés chinoise « qui ont accès à des réserves abondantes de capital et sont intégrées verticalement »”. La peur d’être noyé par le rouleau compresseur chinois et assister impuissant à l’échec de leur entreprise terrorise les jeunes taïwanais. De plus, pour de nombreux taïwanais, ce n’est qu’une énième tentative de reprendre le contrôle de la “23e province” de Chine.”

Pendant plusieurs mois, dans ce climat de peur, les refus de négociation de la part du KMT n’ont fait qu’exacerber les tensions. Le 18 mars, vers 4h du matin, des étudiants décident de s’introduire dans les locaux du parlement à Taipei. C’est par centaines qu’ils se sont appropriés les lieux, affichant banderoles, drapeaux et revendications. Pendant près de 24h, les étudiants auront résisté à plusieurs vagues d’évacuation forcées. Après, de multiples protestations ont eu lieu au cours des jours suivants (auxquelles Fiona a participé avec ses amis), ainsi que des tentatives de dialogues qui n’ont jamais réellement abouties.

Des violences policières ont également été dénoncées par les jeunes qui ont relayé ces images sur les réseaux sociaux. Des clichés et vidéos qui ont choqué la population qui s’est rapidement ralliée aux contestations de la jeunesse. Finalement, les derniers étudiants à quitter le parlement ont résisté jusqu’au 10 avril, soit plus de trois semaines après leur arrivée dans les locaux. Un site internet retrace les événements. 

Fiona semble assez concernée par Taiwan et cela me plait. De plus, elle me propose de se revoir pour que je progresse en chinois. Je me doute qu’il s’agit probablement d’une excuse pour me proposer un second rencard. Au final, le feeling passe plutôt bien entre nous et c’est l’occasion parfaite pour en apprendre encore plus sur Taiwan en général. Fiona s’éclipse quelques minutes plus tard, elle donne des cours particuliers. Nous nous quittons tous les deux sur une bonne impression.

Quelques jours s’ecoulerent encore avant que je ne quitte mon hostel pour me rendre dans le Zhonghe district, à proximité de la station de métro Nanshijiao. J’y ai trouvé un appartement et j’emménage avec d’autres étrangers. Mike, professeur d’anglais et acteur, ainsi que sa copine, qui exerçe les mêmes métiers également. Nous serons rejoints quelques semaines plus tard par Nick, un Germano-Thaïlandais qui a principalement vécu à Taiwan. L’ambiance y est bon enfant et chacun semble apprécier les moments partagés ensemble. Cette colocation sera d’ailleurs le théâtre de nombreuses péripéties au cours des deux mois passés en leur compagnie.

Cela faisait à peine trois jours que j’avais trouvé mon nouveau “chez moi” lorsque qu’un message de Mary me sort de mes exercices de chinois. Elle veut venir me rendre visite dans ma nouvelle colocation. Je comprends tout de suite où elle veut en venir. Je décide d’accepter sa proposition, faible homme que je suis. Très craintive, Mary jette fréquemment des coups d’œil derrière elle alors que nous marchions vers ma colocation.

Des miroirs partout…

Pas de rideaux, pas de draps de lit, pas de couette, mais un nounours Ted remporté fièrement à une machine à pinces au Japon

Mary est dépitée, ma chambre ne possède ni rideaux, ni couette et est remplie de miroirs. Une véritable épreuve pour elle ainsi que pour moi. Cependant, j’avais plus d’un tour dans mon sac… Après avoir couché avec elle, je lui suggère de “remettre ça” une prochaine fois, mais soudainement son attitude change.

-Non, c’était juste une fois, me répond-elle

-Tu n’as pas aimé ?

-Si c’était très bien, mais je ne peux pas. Il faut que je rentre chez mon frère.

-Ton frère ?

-Oui, je vis chez lui depuis que j’ai divorcé. Je vais être en retard, il faut que j’y aille.

En moins de temps qu’il ne faut pour le dire, j’accompagnais Mary jusqu’à la station de métro. C’est la dernière fois que nous nous sommes vus l’un et l’autre. Selon un de mes amis présents sur Taipei, cette attitude pourrait s’expliquer.

-Si tu veux mon avis mon gars, c’est qu’elle est encore mariée

-Pourquoi aurait-elle menti ?

-Parce qu’ici l’adultère est encore punissable par la loi

Je tombe des nues. Mary m’aurait-elle menti ? A-t-elle peur des répercussions qu’engendrerait cette relation extra-conjugale ? En Asie, en 2017, seuls deux pays traitent encore l’adultère comme un délit criminel : Taiwan et les Philippines. 

Cela fait déjà plusieurs années que des associations montent au créneau. Elles estiment cette loi rétrograde et, qui plus est, injuste à l’encontre des femmes. Le journal Taiwan News relate une étude menée par un juge entre 1999 et 2005. Celle-ci met en lumière un pourcentage plus élevé de femmes punies par la loi pour un adultère que d’hommes. Pour de nombreux observateurs, les hommes étant les principaux pourvoyeurs d’une rentrée d’argent ont plus de facilité de poursuivre leur femme en justice et de les faire condamner à de lourdes amendes ou de la prison. De leur côté, les femmes ayant moins de moyens sont contraintes de passer l’éponge et de garder le silence. La population, quant à elle, est divisée sur la question. Si certains estiment également cette loi rétrograde, d’autres y sont plutôt favorable pour conserver l’unité familiale. Cependant, en 2017, le ministre de la Justice estime qu’il n’y a pas matière à débat à ce niveau. Taiwan est décidément une terre pleine de surprises.

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