Taiwan

Chapitre 15 : Changement de perspective

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Je viens enfin d’arriver à Taipei ou plutôt devrais-je dire, je suis enfin de retour. Après avoir effectué un tour de Taïwan, je perçois désormais mieux comment fonctionne ce pays, cette société et ses habitants. Il me reste deux semaines avant de m’envoler vers d’autres horizons. J’ai trouvé de nouveau du travail en hostel contre l’hébergement. Mon planning est minutieusement préparé: encore un jour avant de commencer ! L’occasion rêvée de faire une dernière grosse soirée avec un de mes bons potes qui étudie dans la capitale. Nous finissons la soirée jusqu’aux petites heures du matin aux abords du Triangle, une boîte tenue par des français qui attire énormément d’étudiants et quelques locaux. L’entrée permet d’avoir une boisson gratuite, l’idéal pour se mettre en jambe avant de filer au 7 Eleven pour dévaliser le rayon whisky et s’enjailler pour le reste de la nuit.

Une dernière soirée pleine de conséquences (non je n’ai pas de cocard, c’était une soirée où les gens balançaient des paillettes).

Je rentre, tant bien que mal, en titubant dans mon ancienne coloc. Le lendemain, le réveil est brutal. Bouche pâteuse, haleine de bouc, marteau-piqueur sur la tempe, confusion. “Heureusement que c’était la dernière…”, pensais-je en rassemblant mes affaires que j’avais éparpillées sur le sol. Soudain, c’est la douche froide. Où est mon passeport ? Spécialiste en objets perdus, je m’arrange pour faire disparaître tout ce que je touche. Donnez-moi de l’alcool, une pincée de maladresse et hop ! Mon passeport n’échappera, malheureusement, pas à cette triste malédiction. Après avoir repris mes esprits, vu ma soirée défiler sous la douche, je me suis directement mis en quête de mon passeport. J’ai appelé la compagnie de taxi, contacté mes potes, fait le tour du Triangle, alerté la police du coin, mendier auprès des commerces voisins, des femmes de ménage qui s’évertuaient à garder ce coin d’étudiants le plus propre possible chaque matin, en vain. Ma recherche fut infructueuse et mon seul recours fut finalement de contacter le consulat belge de Taïwan. Après avoir adressé mes doléances auprès de la représentante cachée derrière l’épaisse vitre de son guichet, elle me propose une solution. Un passeport temporaire valable six mois qui me permettrait de quitter Taïwan sans souci et de rentrer en Belgique afin d’en demander un nouveau. Mes espoirs de long voyage volent en éclats. Mon billet, d’ores et déjà réservé depuis un mois pour le Vietnam va passer à la trappe. Une déception intense, une fin de voyage presque tragique avec tous les inconvénients que cela implique : un retour au bercail, une attente de plusieurs semaines, une dépense énorme d’argent pour revenir en Asie. Je fais la moue, mais accepte mon triste sort jusqu’à ce que je tente une pirouette.

-Je suis un peu piégé car j’ai un working holiday visa. Je vais devoir rentrer directement en Belgique alors que je pourrais rester encore à Taïwan
-Ha vous êtes en working holiday ?, me lance mon interlocutrice, et depuis quand monsieur ?
-Cela va bientôt faire six mois
-Oh, mais alors vous êtes éligible à six mois supplémentaires
-Oui, exact !
-Ecoutez, dans ce cas, ce que je peux faire, c’est étendre de six mois la validité de votre passeport temporaire. Dans ce cas, vous pouvez rester un an sur le territoire sans devoir rentrer directement en Belgique
-Oh, ça serait super ! J’avais prévu des vacances au Vietnam prochainement, est-ce que je pourrai malgré tout sortir du territoire ?
-Bien sûr, avec un passeport valable 12 mois, vous avez encore droit à six mois de voyage où vous le souhaitez.

Mon sourire en coin en dit long sur ce qu’il se passe dans mon cerveau. C’est l’explosion de joie, j’exulte intérieurement. Je vais encore pouvoir voyager pendant six mois avant de rentrer à la maison. C’est moins abrupte que de devoir tout quitter d’ici deux semaines. Je remplis le formulaire nécessaire, donne les photos et autres informations utiles à la confection de ce passeport de fortune. Je n’aurai qu’à revenir le chercher d’ici quelques jours.

J’ai vraiment besoin de toi, je comptais sur Mei, mais elle a des ennuis avec la police en ce moment

Alors que je travaillais dans l’hostel depuis presque une semaine, je reçu un message de Dominique. Lâché par mon ancienne collègue, la jeune et pleine de stéréotypes, Mei, il avait besoin d’un coup de main pour un événement sur Taipei. Au début, j’ai souri. Ensuite, j’ai décidé de nier l’affaire. Peu après, alors que je venais de finir mon shift à l’hostel, un étrange coup de fil de Dominique me sort de ma léthargie. “J’ai vraiment besoin de toi, je comptais sur Mei, mais elle a des ennuis avec la police en ce moment.”

-Comment ça ?
-Elle était censée travailler, mais elle a été arrêtée par la police. Elle m’a appelé avec le téléphone d’une amie
-Mais enfin, qu’est ce qu’il s’est passé ?!
-Quelqu’un lui a envoyé un colis avec une arme. Au début, la police a cru que l’arme lui était destinée
-Oh putain !
-Quelqu’un lui en veut visiblement et veut lui faire peur. Elle ne peut pas venir travailler pour le moment, je suis débordé sur le stand.

Pris de court, ma bonne conscience me rattrape et je décide de rendre service étant donné que j’avais fini mon shift. Je préviens alors Dominique que je ne peux que l’aider quelques heures. Il accepte mon offre et me propose de me retrouver quelques heures plus tard au stand situé à côté de la Taipei 101. Les souvenirs des premiers jours remontent peu à peu à la surface. L’odeur de caramel me chatouille de nouveau les narines, je prends presque de nouveau plaisir à cuire ces gaufres que j’ai exécrées en fin décembre.

Une excellente affluence lors de l’événement.

-Merci pour le coup de main, me lance Dominique, ça me fait vraiment plaisir. En plus, tu sais comment tout fonctionne et on gagne un temps fou.

Ces premiers remerciements sincères de mon boss sont étonnants. Je ne les avais jamais entendu auparavant. La surprise suivante fut probablement l’affluence rencontrée. Exit les journées à s’emmerder devant des gaufres qui moisissent sur la grille recouverte de sucre perlé. Le rush est bien présent, le caramel fondu éclabousse mon T-shirt, se réfugie sous mes ongles, brûle de nouveau ma peau. Qu’importe, je continue, j’hurle des slogans en chinois pour inviter les curieux à venir acheter des gaufres, je fais le “V” de la victoire dès que les gens veulent prendre des photos moi, bref, j’ai compris ce qui marche dorénavant. Je ne suis pas seul à travailler, Dominique est à mes côtés et apporte la touche finale aux préparations. Il balance avec agilité une couche maîtrisée de crème fraîche qu’il ornemente de morceaux de fraises. Le client récupère son dû, les yeux écarquillés par tant de beauté. Il sourit, empoigne une fourchette et, après avoir coupé avec hâte un premier morceau qu’il engloutit en quelques secondes, se mit à sourire avec un râle de satisfaction. “Haochi de !” (« Rha au chude« ), s’exclame-t-il, ce qui signifie “C’est délicieux”. La reconnaissance du travail est là et je vois dans les yeux de Dominique une fierté. Une fierté légitime et méritée oserais-je dire. Je termine cette première journée sur une note positive. Dominique me fait alors une proposition.

-Seb, pourquoi tu ne viens pas bosser les jours qui restent ? En échange, je peux t’héberger comme ça tu ne dors pas à l’hostel et je te paie ta nourriture en plus !

Je réfléchis et décide de bien négocier mon retour dans le business de la gaufre.

-J’accepte pour 1000 NT par jour et un lift à l’aéroport car je suis censé partir dans la nuit qui suit le dernier jour de l’événement.
-Marché conclu ! Rétorque Dominique en me serrant la pince.
-Et je viens t’aider après-demain, comme ça je peux prévenir les gens de l’hostel ce soir et ils ne sont pas pris de court.
-Aucun souci !

Le deal est scellé. Je retourne à mon hostel, consulte mon téléphone que j’avais laissé de côté pendant le boulot. Fiona m’avait envoyé un message. Elle voulait savoir comment se passait ma nouvelle vie. Je lui ai donc conté mes mésaventures depuis notre rupture/mon départ. Plutôt réactive, je tente de lui proposer de se revoir.

Tentative de reconquête ?

C’est un revers en pleine face que je me prends. M’a-t-elle véritablement contacté pour avoir de mes nouvelles ou pour m’exposer le fait qu’elle avait un petit ami ? Je garde la face en lui disant que je suis prêt à tout de même aller “trekker” avec elle et ses amis. Nous ne nous sommes plus jamais parlé depuis lors. Dans la même veine, je reçu quelques heures plus tard un message qui éveilla ma curiosité.

Proposition indécente

Noémie devait se rendre sur Taipei pour quelques heures demain dans l’après-midi. Je me mis à sourire. Plus de 350 kilomètres me séparaient d’elle. Je me souviens lui avoir précisé que je partais en début avril et, elle avait ajouté, « si par hasard je passe sur Taipei je te tiens au courant« . J’ignore si c’est véritablement le hasard qui veut nous réunir, mais en tout cas je ne compte pas laisser passer cette opportunité. Noémie est, de loin, la fille pour laquelle j’ai eu le plus gros coup de cœur à Taïwan. Nos conversations, nos intérêts communs, notre âge, nos visions du monde. Tout me laissait penser que quelque chose de fort se passait entre nous. Sans que je ne lui dévoile, sans que je ne lui dise quoique ce soit, il a été extrêmement aisé pour moi de communiquer avec elle et de comprendre ce qu’elle ressentait. Nous avions même eu une discussion sur la série “Rick et Morty” de Justin Roiland et Dan Harmon. Un petit bijou d’animation co-réalisé par le créateur de Community. Dans la saison 3, Rick veut absolument goûter la sauce “Szechuan”, spécialement préparée en édition limitée dans les Mc Donalds à l’occasion de la sortie du dessin animé Mulan (racisme sucré-salé). Une blague récurrente entre nous qui finira par nous tirailler dès le lendemain. En route pour trouver un motel, j’ai décidé de m’arrêter avec Noémie en quête de cette fameuse sauce. Nous fûmes malchanceux malgré le retour annoncé par la chaîne de fast-food suite à l’engouement des fans de la série. Cependant, toujours dans le même délire, nous avons commandé une trentaine-quarantaine de nuggets. Nous nous sommes ensuite rendus dans un motel (ne changeons pas les bonnes habitudes). Durant cette courte heure, nous avons fait l’amour comme des amants sortis de prisons récemment et avons dégusté, nus comme des vers, ces nuggets comme plaisir post-coït. Une belle façon de nous dire au revoir et de partager un dernier moment composé d’intimité, de folie et d’aventure.

Après ces adieux, il était temps pour moi de récupérer mon passeport temporaire afin de le mettre en lieu sûr et d’éviter, à l’avenir, toute perte ! Alors que je pensais ma journée finie, je reçu un message de Pierre me proposant d’aller boire une bière dans un parc. Je ne l’avais plus revu depuis son licenciement. Crâne rasé, jeans délavé, il avait décidément bien changé. Plus libre qu’avant, moins prise de tête, il s’était libéré des chaînes qui traduisaient son malaise. Nous avons conversé quelques heures, histoire de raconter nos différents emplois, nos plans culs, nos mésaventures de part et d’autres. Bien décidé à rester sur Taïwan, il cherchait à trouver un boulot qui lui permettrait de rester et de profiter d’un sponsor. Nous nous sommes quittés en nous souhaitant le meilleur, espérant nous revoir dans un futur proche. Cette journée aurait pu se terminer là, mais j’avais également proposé à Joyce et Lin de nous revoir avant mon départ. L’occasion d’aller manger un bout ensemble, de parler de nos vies respectives et de ce qu’il s’était passé depuis le tremblement de terre. Nous avons chacun vécu cette expérience et ses conséquences différemment. Il nous aura fallu du temps pour oublier et passer à autre chose, mais nous en sommes ressortis encore plus forts qu’auparavant. Sans aucune hésitation, ce mauvais souvenir était bien loin de nous au moment où nous évoquions nos futurs projets. Un moment tendre partagé à trois qui m’a rappelé le meilleur de Hualien.

Le lendemain, j’avais mon sac avec moi, prêt à retrouver Dominique pour l’événement et terminer en beauté ces trois jours. Je dois bien avouer que je n’ai jamais vu Dominique bosser autant. A l’écoute des curieux et gourmands, il mettait la main à la pâte, se démenait pour attirer la clientèle. Les journées étaient chargées, sans le moindre répit, c’était des heures et des heures sans arrêter. La caisse s’emplissait de billets, les paquets de gaufre s’amenuisaient de plus en plus, les cernes et la sueur le long de nos visages en disaient long sur notre fatigue. Enfin, l’enseigne marchait ! C’était un succès ! Après tous ces échecs, j’en étais presque content pour Dominique. “Cette fois-ci, c’est bien mérité”, pensais-je. Le soir, une fois l’événement terminé, nous repartions à la cuisine centrale, préparer la pâte à gaufre des “liégeoises” et des “bruxelloises”.

Un rituel que je finirai par maîtriser après quelques soirées.

Ensuite, nous filions dans un restaurant retrouver quelques amis à Dominique. Nous sirotions quelques bières et mangions comme des rois. Dominique me payait tout, ne me refusait absolument rien et ne comptait pas son argent. Après, nous regagnions son domicile où sa femme attendait avec leur petite fille. Souvent vexée, elle semblait reprocher à Dominique ses longues journées. Il ne bronchait pas, s’occupait de la petite jusqu’à ce qu’elle s’endorme, discutait avec sa moitié pour qu’elle cesse de bouder et s’en allait dormir. C’est là que j’ai réalisé que ma vision de Dominique avait radicalement changé. Il n’était pas le mauvais bougre qu’il laissait paraître. Il a bien entendu des tonnes de défauts. Ce n’est ni Théo, ni Charles qui m’auraient répondu le contraire. Et pourtant, je finissais par me sentir coupable pour lui. Je n’ai jamais vraiment su si j’avais changé d’avis sur lui ou si il avait tout simplement évolué et s’était remis en question. La dernière journée de travail fut longue, suivie par un déménagement pénible de tous les meubles, machines en direction de la cuisine centrale. Lors du trajet, je ne pu m’empêcher de regarder silencieusement le paysage défiler, sentir une dernière fois l’odeur abominable du “stinky tofu” et du refoulement d’égout de certains quartiers du centre. Alors que nous étions de retour chez Dominique, une énième dispute commença avec sa femme. Il décida de m’appeler un taxi, me serra la main en me souhaitant bonne continuation.

Un dernier regard vers Taïwan

En route vers l’aéroport, j’ai revu ces six mois défiler devant mes yeux. Mes peurs du début, mes bafouillements “mandarinesques”, les gaufres, Mary, Fiona et le trekking, la rencontre avec Dominique, Lucie, la métamorphose de Pierre, Mei et l’interpellante situation dans laquelle elle semblait s’être fourrée, ma pub taïwanaise, ma solitude au nord-est, le tremblement de terre, les rencontres et partages à Dulan, Kenting et ses paysages magnifiques, Noémie et nos parties de jambes en l’air, Charles et le restaurant. Tant de choses vécues en si peu de temps. L’avenir n’a jamais été aussi radieux, rempli de son lot de surprises. Émerveille-moi, surprends-moi, fais-moi pleurer, fais-moi vivre à 100% bordel !

Chiang Kai-shek Memorial

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3 Replies

  1. Un réel plaisir de lire ton blog. Tu es incroyable mais vrai 🤣😂😉 que des aventures extraordinaires .Bisous marraine 😚😚😚

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